Faire poser des jeunes femmes aussi dénudées est inconcevable en Chine, mais pas à Hainan.Celle-ci posait pour des yachts au Salon du luxe. Quinze jours plus tard au Salon de l'auto à Shangaï, d'autres modèles, beaucoup plus habillées ont déclenché un scandale. Crédits photo : GLADIEU STEPHAN
REPORTAGE - Tous les riches Chinois se doivent de posséder une résidence secondaire dans cette île tropicale ancrée au sud de leur pays, parce que c'est bon pour le prestige et excellent pour les affaires. Un endroit vraiment très surprenant, où tout paraît curieusement permis. Pour l'instant.
Il fait si chaud que le tarmac fondrait s'il n'était pas en béton. 38°C à l'ombre et 82% d'humidité sur cette piste où rissolent une douzaine de jets privés, alignés et briqués comme à la parade, à l'intention de clients qui se succèdent sans discontinuer. Au pied des passerelles, les dirigeants des plus grandes compagnies aéronautiques européennes et américaines sont pourtant tous là, en train de transpirer le plus élégamment possible tout en se félicitant d'avoir réussi à acheminer jusqu'ici un exemplaire de leur plus récent modèle, quitte à l'emprunter pour trois jours à un émir de Bahreïn ou à un PDG de Hongkong.Mais le Salon du luxe, organisé depuis trois ans sur l'île de Hainan par une jeune Française de Shanghaï, Delphine Lignières, mérite amplement leurs efforts. Cette année encore, une bonne vingtaine de yachts et sans doute autant de jets privés y ont été vendus entre le 5 et le 8 avril, en plus de toute une collection de voitures et de téléphones d'un luxe inouï (dont l'un qui valait deux fois plus cher qu'un coupé Mercedes) et davantage de bijoux que les joailliers n'en prêtent à eux tous pour une cérémonie des Oscars. Bien qu'ouvert uniquement sur invitation - dont la plus recherchée était siglée VVIP: Very Very Important Person -, cet incroyable «Rendez-vous de Hainan», ponctué de fêtes aussi fastueuses et élitistes que celles du Festival de Cannes, est parvenu cette année à attirer plus de 10.000 visiteurs qui ont dépensé au total «plusieurs milliards de yuans»... ce qui équivaut tout de même à plusieurs centaines de millions d'euros.
Le parking de l'hôtel MGM au lendemain d'une «fête blanche» à laquelle était conviée toute la jeunesse dorée présente sur l'île. Nous avons dénombré 8 Ferrari, 1 Lamborghini, 1 Rolls, 1 Bentley et des rangées d'Audi, de Porsche et de Mercedes. Crédits photo : GLADIEU STEPHAN
Le seul endroit de Chine où l'on peut exhiber sa fortune
Une débauche d'argent stupéfiante dans ce bastion du communisme, où l'étalage ostentatoire de certaines richesses peut encore conduire dans un camp de rééducation, voire pire. En temps normal, les Chinois se montrent d'ailleurs assez discrets sur l'étendue de leur fortune et il est notoire qu'ils ont tendance à la minimiser; l'éditeur du magazine qui publie chaque année un palmarès des personnalités les plus riches de Chine (dont un petit tiers de femmes), estime ainsi que le nombre de milliardaires en yuans ne serait pas de 1363, comme l'affirme son propre décompte de 2011, mais d'«au moins 4000». Quant à ceux qui possèdent plus de 10 millions de yuans (1,3 million d'euros), ils étaient officiellement 960.000 l'an dernier, dont 60.000 «super-riches» détenteurs de plus de 100 millions de yuans, ce qui fait déjà beaucoup de monde, même si l'on ne multiplie pas ce chiffre par trois ou quatre. Autant d'entrepreneurs et de politiciens - près d'un tiers des Chinois les plus fortunés sont également de hauts dignitaires du Parti communiste - qui possèdent sûrement une résidence secondaire sur l'île de Hainan: un paradis tropical grand comme la Belgique, ancré au sud de Canton et de Hanoï, le seul endroit de Chine où être riche et le montrer est très officiellement encouragé comme «un moteur du développement économique».Petite fête sur un yacht à l'occasion du Salon du luxe. Les marques françaises y sont très nombreuses et très appréciées. Crédits photo: Stephan Gladieu
«Le relationnel est très important en Chine, nous explique à ce sujet Janet Chen, rédactrice en chef d'un magazine de nautisme chinois: les gros contrats se doivent d'être finalisés dans un cadre luxueux où les clients sont invités avec leur famille et leurs amis. Celui qui les reçoit montre ainsi sa solidité sociale et financière, mais surtout, il honore le futur signataire.»
350 euros la nuit d'hôtel, autant qu'un bon salaire mensuel
Le spa de l'hôtel Mandarin-Oriental, l'un des rares hôtels où l'on croise quelques clients étrangers (russes pour la plupart). Crédits photo : GLADIEU STEPHAN
Hainan, c'est d'abord une capitale, Sanya, 700.000 habitants «seulement», mais répartis sur une surface gigantesque: 238 km de bord de mer (plus qu'entre Nice et Marseille!) et pas moins de 19 baies encore en cours d'aménagement, avec la construction de 70 nouveaux hôtels de luxe dotés de marinas publiques et privées, qui s'ajouteront bientôt aux 223 palaces existants, dont 13 cinq étoiles et 20 quatre étoiles. De quoi loger les simples millionnaires pour un prix moyen de 3000 yuans la nuit (environ 350€), autant qu'un bon salaire mensuel en Chine.
Les vrais riches, eux, ne descendent que rarement dans les hôtels, sinon pour y dîner en compagnie de leurs invités. Ils sont tous propriétaires d'un ou plusieurs appartements ou villas, qu'ils n'occupent généralement que deux ou trois semaines par an, et qu'ils prêtent ou louent le reste du temps. Et plus ces résidences sont chères, mieux c'est, puisque leur achat est d'abord une question de prestige, doublé d'un investissement.
Le plus important, c'est de se distinguer
D'où la ruée sur la nouvelle excentricité de Sanya, où 80% des logements appartiennent déjà à des résidents secondaires et où les terrains libres ne manquent pourtant pas: une île artificielle, reliée au centre-ville par un pont interdit aux pékins ordinaires, donc ultraprivée, ultraélitiste, ultraconvoitée. Accompagnés de la vice-présidente du cabinet d'architecture en charge de sa construction, nous avons pu y pénétrer et même photographier ses appartements témoins, ce qui n'avait encore jamais été autorisé. Tous sont meublés et décorés de produits exclusivement européens, de la robinetterie aux luminaires en passant par les lits et le revêtement des sols. Un parti pris pour le design d'importation qui a touché sa cible: sur les trois tours de 375 logements chacune qui sont achevées, deux sont intégralement vendues et la troisième l'est plus qu'à moitié. Et ce, alors que le prix des appartements y est pourtant astronomique: de 70.000 à 130.000 yuans le mètre carré, soit 6 à 10 fois le prix moyen du mètre carré à Beijing (12.326 yuans) au premier trimestre 2012!La maquette de l'île artificielle Phoenix, dont les premiers appartements seront livrés en août. À elle seule, la vente des cinq tours de logements suffira à financer la construction de tout le reste. Crédits photo : GLADIEU STEPHAN
Et pourtant, le propriétaire de ce yacht était lui-même un «première génération»; autrement dit, un ancien pauvre, ayant construit sa fortune tout seul, à la différence des «deuxième génération» qui l'héritent de leurs parents et la dilapident en achetant des Ferrari jaune fluo ou des consoles de jeux géantes à 70.000 euros.
Une île paradoxale, déjà très critiquée
Notre hôte, lui, se contentait de rouler en Mercedes LS 350; rien d'extraordinaire ici. Et s'il vient aussi souvent sur l'île de Hainan - jusqu'à dix fois par mois, à raison de trois heures d'avion depuis son siège social de Shanghaï -, ce n'est pas pour la frime, mais «pour la beauté et le silence de la mer» qui l'entoure. Car il est fou de pêche et de voile, ce qui est très rare en Chine, où la plupart des habitants ont une peur panique de l'eau et ne savent pas nager. Après l'achat de quatre villas il y a quinze ans - une pour lui, trois pour ses invités de passage -, il a tout de suite commencé à acheter des bateaux; d'abord à moteur, puis à voile. Il ne sait toujours pas les barrer, mais cela ne l'empêche aucunement d'organiser des régates ni d'investir sur l'implantation de marinas. Un jour, il en est certain, la Chine gagnera l'America's Cup. Et ce sera peut-être en partie grâce à lui.Promenade en yacht au large de Yalong Bay, l'une des plages où les hôtels de luxe sont les plus nombreux. On y pratique tous les sports nautiques dont la natation et la plongée. Depuis peu, Hainan compte trois champions nationaux de surf. Crédits photo : GLADIEU STEPHAN
La plage n'est pas privée. Elle est fréquentée par des touristes ayant pour point commun d'adorer les tenues hawaïennes. Crédits photo : GLADIEU STEPHAN
Un dernier point qui paraît cependant «normal», comparé à tout le reste: Hainan est truffée de bases militaires secrètes, dont deux pour les sous-marins nucléaires et une en construction pour le lancement de fusées vers la Lune.Mais ça, c'est une autre histoire, une de plus.
http://www.lefigaro.fr/international/2012/05/10/01003-20120510ARTFIG00826-hainan-l-ile-au-tresor-des-milliardaires-chinois.php
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